Au temps du roi Saint Louis, le fils unique du seigneur de Péreybus, nommé Raoul, partit pour la croisade. Enguerrande, la fille du châtelain de Toulx, lui était fiancée. Elle vivait seule avec son père dans le manoir aux six tourelles qu’il avait fait bâtir pour ses six fils, les gentils damoiseaux de Toulx. La mort les avait moissonnés l’un après l’autre, en peu de temps, lors de la guerre en Terre Sainte, et leur mère, la châtelaine, les avait suivis dans la tombe. Quelques mois après le départ de Raoul, le père d’Enguerrande mourut à son tour. Restée seule, la jeune femme vécut dans la retraite. Un jour, elle reçut la visite d’un prétendu chevalier, disant venir de Terre Sainte et porteur d’un message de Raoul. Peu après cette rencontre, Enguerrande disparut mystérieusement. On la crut enlevée par Satan lui-même. Deux ans plus tard, la veille du dimanche des Rameaux, Raoul entra dans la ville de Toulx, de retour de croisade. Il fit don à la cathédrale d’un morceau de la Vraie Croix, conservé dans un riche reliquaire. Depuis lors, Toulx prit le nom de Toulx-Sainte-Croix. En apprenant la disparition d’Enguerrande, Raoul demeura figé, sans paroles ni larmes, ruminant en silence de terribles projets de vengeance. Le matin du dimanche des Rameaux, il se mit en route pour le château de Péreybus. Alors qu’il approchait du rocher, la procession de Jalesches rentrait à l’église, et le curé prononçait les paroles du rituel : Attollite portas (« Ouvrez les portes »). À cet instant précis, un grand fracas se fit entendre dans le rocher, semblable au bruit d’un vent violent abattant un vieux chêne. La pierre se fendit de haut en bas, et les deux moitiés, tournant sur elles-mêmes comme des battants, dévoilèrent l’intérieur d’une grotte éclairée par un rayon de soleil. Enguerrande y était couchée sur un lit de mousse. « Que vous avez tardé ! » dit-elle. « Que je vous attendais avec impatience ! Hier, un traître est venu, prétendant être chevalier, et a tenté de me ravir l’honneur. Mais au moment où il me menaçait, j’ai prié Notre-Dame, et il m’a semblé la voir venir à moi. Elle m’a dit : “Dormez en paix.” Je me suis endormie… et je m’éveille. » Le sommeil d’Enguerrande, sous le rocher de Péreybus, avait duré deux ans. De grandes fêtes furent célébrées dans toute la contrée à l’occasion du mariage de Raoul et de la jeune châtelaine. Le rocher de Péreybus se referma de lui-même au moment où le curé de Jalesches prononçait l’Ite missa est. Selon la tradition, il s’ouvrit à nouveau, chaque année, pendant plusieurs siècles, lorsque la procession des Rameaux rentrait à l’église, pour se refermer aussitôt la messe terminée.
Source : Bernard Héraud, Claude Royère, france-pitoresque.com